Editions Robert Laffont - 1965 pour l'édition originale- 2013 pour la traduction française- 322 pages
1944, Etats-Unis. Robert Prentice rejoint les rangs de l'armée pour aller libérer l'Europe du joug nazi. Au terme de quelques semaines de classes aux Etats-Unis, il embarque pour l'Europe, affecté comme messager. Il y voit l'occasion de se démarquer de ses camarades, par une attitude exemplaire, brave et courageuse. Sauf que la réalité sera toute autre.
Sa mère, Alice Prentice, a élevé seule son fils Robert, après son divorce. De nature optimiste, elle rêve de percer comme artiste sculptrice. Quitte à se mettre dans des situations impossibles, et vivant bien au-dessus de ses moyens.
Tous deux aspirent à un destin d'exception...
Comme dans ses romans précédents, Richard Yates ne donne pas une image très reluisante de l'humain en société. Il aborde les thèmes de la reconnaissance, sociale surtout, dans une société où les premiers seront ceux qui auront réussi à se faire leur place, qui seront invités aux soirées les plus en vue. Une société hypocrite où l'on regarde l'autre s'enfoncer avec condescendance et (fausse) empathie.
Trois parties dans ce livre: deux consacrées à la vie de soldat de Robert en 1944; entrecoupées d'une partie sur la vie d'Alice et Robert dans les années 30.
Le personnage d'Alice apparait plutôt, au départ, si ce n'est antipathique, en tous cas pas sympathique. Cette mère qui couve son enfant, l'empêchant ainsi de grandir et d'être autonome, qui prend son ex-mari pour une vache à lait, qui doit assurer le train de vie parfois irréaliste qu'a choisi son ex-femme. Puis, en allant plus en profondeur dans le portrait de cette femme, les traits se révèlent plus nuancés. Peut-on reprocher à cette femme de croire en elle, en son talent? De vouloir vivre de son art? Cette mère qui veut ce qu'il y a de mieux pour son fils, sans qui elle serait bien seule.
Le travers de cette obsession fait qu'Alice fait preuve d'un manque de lucidité et d 'inconséquence, voire d'immaturité. Elle possède ce narcissisme qui l'empêche d'apprécier les choses et les gens tels qu'ils sont, en cherchant toujours plus, éternels insatisfaits.
Quant à Robert, il n'est finalement pas très débrouillard. On ne peut pas dire non plus qu'il soit empoté mais un jeune homme qui, même s'il veut s'en empêcher, revient toujours dans les jupons de sa mère.
"Il était l'homme voué à arriver trop tard, le laissé-pour-compte et, surtout, le soldat cantonné à une position trop subalterne pour qu'on le remarque." p.248
Il n'a pas la carure du héros qu'il voudrait incarner. En admiration devant ceux qui ont de la prestance et du charisme, il est souvent raillé et connaît un destin des plus banals, sans gloire. Il finit toujours par se retrouver en dehors de l'action (un peu narcoleptique Robert) ce qui génère en lui une grande frustration. Arrivera-t-il à gagner cette liberté à laquelle il aspire et à s'affranchir de cette mère envahissante?
La relation qu'ils entretiennent tous deux est très intéressante à suivre et surtout bien plus complexe qu'elle n'y parait. Chez Richard Yates, rien n'est jamais binaire, il parvient avec un grand talent à sonder la société américaine des années 1920 à 1940.
Les livres de Richard Yates mettent mal à l'aise, sont dérangeants. D'abord dans la narration, par le recul qu'il prend avec ses personnages qu'il regarde évoluer, tomber et essayer de se relever. Mais aussi par les ressemblances que l'on peut y avoir avec nos propres vies. Ne sommes-nous pas tous un peu, sous certains aspects, des Alice, Robert et consors? Ne rêvons-nous pas, nous aussi, à un destin d'exception? Ca fait réfléchir...
Je crois qu'une large part du roman est autobiographique.
Ma note: